Taxi Gab+ : ce qu’un socle digital aurait évité…

Le projet Taxi Gab+ est né d’une intention louable du Chef de l’Etat : moderniser le secteur du transport urbain et offrir un tremplin économique pour de nombreux jeunes gabonais.

Mais au fil de sa mise en œuvre, des tensions sont apparues, venant d’abord des chauffeurs, contraints de verser un forfait quotidien élevé, sans prise en compte de leurs réalités : arrêts maladie, aléas de circulation, journées creuses.

À cela s’ajoutent les critiques internes, la direction pointant l’irresponsabilité de certains chauffeurs dans la gestion de leurs courses et de leurs recettes. 

Enfin, la population elle-même exprime son mécontentement face à des prix jugés arbitraires, fixés au bon vouloir des chauffeurs.

Cette accumulation de tensions, justifiées ou non, révèle un angle mort du projet : l’absence d’un socle digital qui, à l’heure du mobile banking, aurait permis d’automatiser la collecte, de tracer les flux, et d’assurer une redistribution plus équitable.

En effet, les tensions que l’on observe aujourd’hui auraient pu être largement évitées si un socle technologique plus solide avait été pensé dès la conception du projet.

Une modernisation par la forme, pas par le système

En surface, le projet a bien été lancé : plus de 800 véhicules neufs équipés d’un tracker GPR. On a opté pour un système de versements quotidiens. Quel  aucune véritable architecture numérique n’a été mise en place pour encadrer l’écosystème.

Il y a une application existante, peu intuitive et intégrée à la marketplace Akanda biz, elle-même un peu fourre-tout, générique, non pensée pour la gestion quotidienne des courses ou des revenus. Résultat : faible adoption, faible impact.

Quant à lui, le suivi des flux financiers reste essentiellement manuel, sans automatisation ni traçabilité systématique. Pis encore : c’est au chauffeur de venir remettre manuellement les sommes collectées, sans aucun dispositif permettant à la direction de vérifier, au centime près, ce qu’il a effectivement encaissé.

Même dans un modèle fondé sur le paiement en espèces, chaque course aurait pu — et dû — être enregistrée numériquement, permettant un suivi en temps réel et une transparence sur les recettes quotidiennes.

La seule brique technologique opérationnelle reste un tracker GPS — utile pour surveiller, mais pas pour structurer.

De cela découle une gestion jugée opaque et arbitraire, véritable source de tension. 

Sans outil digital dédié, les versements journaliers (20 000 FCFA) sont perçus comme rigides et parfois injustes de la part des chauffeurs. En cas de panne, d’imprévu ou de baisse d’activité, le système n’intègre aucun ajustement.

Par ailleurs, l’absence de suivi automatisé limite la transparence : ni le chauffeur, ni la structure ne disposent d’un tableau de bord partagé pour visualiser les flux, les performances ou les frais réels.


Les rémunérations, les sanctions et les décisions se prennent donc sur une base partiellement subjective, ce qui fragilise la relation de confiance entre les parties.

Ce qu’un système digitalisé plus optimal aurait permis

Un projet de cette envergure, s’il avait intégré la technologie dès sa conception, aurait pu atteindre plusieurs objectifs simultanés :

  • Gestion automatisée et transparente des paiements

L’intégration de paiements numériques (via mobile money) permettrait de contourner totalement la manipulation d’espèces par les chauffeurs. Les recettes seraient directement versées sur un compte mobile money de la direction, sécurisant les flux financiers et réduisant les risques de fraude.

Ce système renforcerait aussi la qualité de service : les chauffeurs, n’ayant plus à gérer l’argent directement, seraient incités à soigner leur relation client pour maximiser les pourboires — introduisant ainsi une logique d’incitation positive.

  • Reversement automatique selon un contrat prédéfini

    En remplaçant le forfait fixe par un mécanisme de reversement proportionnel ou hybride (forfait + pourcentage), le modèle s’ajusterait à l’activité réelle du véhicule. Cela permettrait d’éviter les situations perçues comme injustes. Le système devient plus agile, moins punitif, et donc plus soutenable.
  • Tableaux de bord partagés pour la transparence

    Une plateforme numérique donnerait accès à des tableaux de bord dédiés à chaque acteur : les chauffeurs suivent leurs recettes, les superviseurs vérifient les performances en temps réel, et les régulateurs peuvent contrôler l’ensemble de l’écosystème, avec une vision consolidée et traçable.
  • Justice sociale ciblée


Le projet aurait pu intégrer un système de cartes prépayées ou subventionnées (par exemple sous forme de cartes NFC), distribuées à des publics vulnérables : étudiants, mères célibataires, personnes âgées. Ces cartes auraient permis de bénéficier de trajets gratuits ou à tarif réduit, dans une limite définie et avec un suivi transparent.

Ce soutien aurait pu s’adapter selon les besoins : plus d’aides pendant les heures de pointe, dans certaines zones peu desservies, ou pour certaines situations sociales précises.

🔹 Régulation tarifaire équitable

Une plainte revient souvent : certains chauffeurs refusent les petites courses à 200 ou 300 FCFA, estimant qu’elles ne leur rapportent rien.

Avec un système numérique, les tarifs auraient pu être encadrés automatiquement, sans laisser place à l’arbitraire. Les courses à bas prix auraient pu être partiellement prises en charge par l’État ou par des partenaires, à travers un système de subvention.

Et pour motiver les chauffeurs à accepter ces trajets, un mécanisme de bonus ou de prime aurait pu être prévu pour les trajets dits « sociaux » (écoles, hôpitaux, quartiers enclavés, etc.).

En clair, la technologie aurait permis de concilier règles justes, incitations efficaces et solidarité ciblée.

Il n’est pas trop tard

Le projet Taxi Gab+ mérite d’être recalibré. Les objectifs sociaux sont toujours pertinents. Le besoin de structuration reste fort. Mais pour aller plus loin, il faut intégrer un vrai système digital, pensé pour la gestion, le pilotage et la justice sociale.

La digitalisation n’est pas un accessoire. Dans un projet social d’envergure, elle devient un instrument de clarté, d’équité, et de scalabilité.

L’État gabonais a posé les bases. Il lui reste à construire l’ossature invisible qui fera de Taxi Gab+ une plateforme de mobilité intelligente. 

Articles similaires