La transformation numérique rapide du continent africain, portée par la généralisation du mobile, l’essor de la fintech, des services publics en ligne et du e-commerce a entraîné une forte augmentation de la vulnérabilité des systèmes. Selon l’African Union Commission, les cyberattaques en Afrique ont progressé deux fois plus vite que la moyenne mondiale depuis 2022. Phishing ciblé contre les banques, rançongiciels visant les administrations, et vols massifs de données clients : le spectre des menaces s’est élargi, touchant des secteurs aussi variés que la santé, l’énergie ou l’éducation.
Les recruteurs ont adapté leurs priorités en conséquence : plus de 60% des entreprises sondées dans un rapport 2025 du cabinet Partech placent la cybersécurité en tête des compétences recherchées, devant le développement logiciel et l’analyse de données. « La cybersécurité n’est plus un luxe ; c’est une condition de survie pour les entreprises », commente un responsable sécurité d’une grande banque nigériane.
Un marché en plein essor… mais une pénurie alarmante
Les prévisions sont ambitieuses : le marché africain de la cybersécurité pourrait dépasser 3,5 milliards de dollars d’ici 2027, dopé par des investissements étrangers (notamment américains, européens et asiatiques) et par la mise en place de lois sur la protection des données inspirées du RGPD européen, déjà adoptées dans plus de 25 pays africains.
Pourtant, cette croissance se heurte à un obstacle majeur : un déficit massif de talents locaux. D’après l’African Cybersecurity Talent Report 2025, environ 68 000 postes restent non pourvus, faute de profils qualifiés. Le problème est structurel : peu d’établissements offrent des cursus spécialisés, et la majorité des diplômés informatiques n’ont pas reçu de formation pratique en cybersécurité. Résultat : de nombreuses entreprises font appel à des consultants étrangers, ce qui augmente les coûts et entretient la dépendance technologique.
Initiatives pour combler le déficit de compétences
Pour inverser la tendance, des initiatives publiques et privées se multiplient. L’African Cybersecurity Skills Accelerator forme des spécialistes en 6 à 12 mois via des programmes intensifs. Des géants du numérique comme Microsoft et Google ont lancé des académies gratuites ou subventionnées dans plusieurs pays, notamment au Kenya, au Maroc et en Afrique du Sud.
Certains États développent aussi des stratégies nationales de cybersécurité :
- Le Maroc a créé en 2024 un Centre national de réponse aux incidents dédié aux administrations et aux entreprises stratégiques.
- Le Kenya a lancé un programme de bourses pour former 1 000 experts d’ici 2026.
- L’Afrique du Sud prépare une loi pour imposer aux entreprises de plus de 50 salariés un minimum d’experts cybersécurité internes.
Malgré ces efforts, la formation reste lente face à la vitesse à laquelle les cybermenaces évoluent.
Cybercriminalité en hausse : l’urgence d’agir
Les dernières années ont vu apparaître des attaques massives. En 2024, le Nigeria a subi une campagne de ransomwares visant plusieurs hôpitaux publics, paralysant la prise en charge des patients pendant plusieurs jours. En Afrique de l’Est, des plateformes de paiement mobile ont été victimes de détournements frauduleux estimés à plusieurs millions de dollars.
Selon Interpol, plus de 90% des entreprises africaines ne disposent pas de protocoles cybersécurité efficaces. Des pays comme le Ghana ou l’Éthiopie ont enregistré une augmentation fulgurante des tentatives d’arnaques en ligne, certaines estimées à +3 000% sur un an.
Ces menaces mettent en péril la confiance numérique et freinent les ambitions de croissance économique du continent.
Vers un avenir numérique sécurisé ?
La cybersécurité en Afrique doit devenir une priorité stratégique au même titre que les réseaux ou l’accès à Internet. Cela exige plus d’inclusion (la proportion de femmes dans ces métiers est inférieure à 14%), une coopération régionale renforcée pour partager les renseignements sur les menaces, et une gouvernance numérique solide pour harmoniser les lois et encourager les bonnes pratiques.
À terme, si la formation locale s’accélère et que le secteur attire davantage de jeunes talents, l’Afrique pourrait non seulement combler son retard mais aussi devenir un centre d’excellence mondial en cybersécurité, capable de protéger ses économies numériques et d’exporter des compétences.